Deux hommes ont été incarcérés mercredi pour des actes qui n’ont entraîné aucune blessure ni dégât matériel chiffré. Pour justifier la sévérité des peines, le tribunal correctionnel de Nouméa a invoqué les « circonstances » insurrectionnelles.
En privilégiant l’usage de la force au compromis politique, en évoquant l’idée de soumettre au référendum national la question du dégel du corps électoral, et en niant les racines du problème, le chef de l’État renoue avec les démons de la République.
Mercredi 15 mai, dans le quartier de Tuband à Nouméa, un élu loyaliste, Philippe Blaise, a été aperçu au milieu d’une milice armée de battes de baseball, de barres de fer et d’un couteau. Le vice-président de la Province Sud, membre des Républicains calédoniens, les appelle « mes mecs ».
Plusieurs témoignages recueillis par Mediapart font part de l’absence de contrôle des policiers sur des citoyens d’origine européenne armés, voire de « deals » passés entre eux.
Ni le séjour éclair du chef de l’État ni ses déclarations ambiguës sur le dégel du corps électoral n’ont arrangé le quotidien du quartier populaire de Rivière-Salée, meurtri par deux semaines de crise. Habitants indépendantistes et loyalistes s’accordent pour dire que le président français « a mis de l’huile sur le feu ».
Au terme d’une visite éclair dans l’archipel, le président de la République n’a rien annoncé de concret, si ce n’est qu’il donnait « quelques semaines » aux indépendantistes pour ramener le calme et reprendre le dialogue. Fuyant ses propres responsabilités, il a surtout démontré son entêtement à nier la racine coloniale du problème.
Mobilisé dans son quartier de Nouméa, Darewa Dianou, le fils d’Alphonse Dianou, leader indépendantiste tué à Ouvéa en 1988, raconte à Mediapart son quotidien depuis le début de la crise. Les difficultés à « canaliser » les jeunes, la peur des milices et la détermination de ceux qui luttent sur le terrain, malgré l’absence de perspectives.
Mediapart a retrouvé les proches de l’étudiant kanak de 19 ans tué par balle à Nouméa le 15 mai. Son cousin, présent pendant le drame, raconte que Jybril a été la cible d’un civil armé alors qu’il ne représentait aucun danger. L’auteur présumé du tir s’est rendu aux autorités.
Les habitants d’origine européenne ont formé des groupes peu expérimentés militairement, parfois fortement armés. Le haut-commissaire de la République les tient pour responsables de la mort de trois Kanak, mais soutient leur existence.
Que se passe-t-il en Nouvelle-Calédonie ? Qui est responsable de cette flambée de violence jamais vue depuis des décennies ? Comment en sortir ? Réponses dans « À l’air libre ».
Gérald Darmanin a accusé jeudi l’Azerbaïdjan d’ingérence en Nouvelle-Calédonie. Il y a bien une manipulation de la part de cette dictature qui, depuis deux ans, manifeste son hostilité vis-à-vis de la France. Mais elle ne suffit pas à justifier la colère et les affrontements en cours.
Pour sauver le processus de décolonisation débuté il y a près de quarante ans, l’exécutif doit comprendre que la réforme du corps électoral sur laquelle il s’est fracassé est une question de survie pour les Kanak, liée à leur minoration démographique, au cœur de la domination française depuis le XIXe siècle.
L’anthropologue Michel Naepels est spécialiste de la violence en politique et de ce qui s’ensuit. Il a étudié, en Nouvelle-Calédonie, le passif colonial, les conflits fonciers, les rapports sociaux, mais également l’intelligence collégiale propre à la culture kanak.
Alors que Gérald Darmanin rejette la faute des violences sur la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), ses délégués envoyés en métropole démentent et invitent le gouvernement à l’introspection.
Depuis trois jours, l’agglomération de Nouméa vit au rythme des barricades et du couvre-feu. Entre les craintes de pénuries, un hôpital au ralenti et l’état d’urgence, des habitants racontent à Mediapart leur quotidien depuis le début des violences.
Le député socialiste Arthur Delaporte appelle l’exécutif à suspendre son projet de loi constitutionnelle visant à élargir le corps électoral de l’archipel. Selon lui, le premier ministre doit se ressaisir du dossier néo-calédonien.